Le vieux pont de Castelnaud : un témoin discret et essentiel du Périgord Noir

19 juin 2025

Un pont de pierre sur la Dordogne, entre passé et présent

À première vue, le vieux pont de Castelnaud pourrait passer inaperçu, éclipsé par la silhouette puissante du château dressé sur son éperon rocheux. Pourtant, cet ouvrage de pierre enjambe la Dordogne depuis plus de 120 ans et occupe une place à la croisée de l’histoire, du paysage et de la vie quotidienne du village. Pour comprendre son importance, il faut remonter le temps, interroger son rôle à travers les âges, mesurer son impact sur la vie locale, et s’arrêter aux petites histoires qui se sont tissées autour de ses arches.

Quelques repères historiques : la fin de l’isolement

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, traverser la Dordogne à hauteur de Castelnaud relevait parfois de l’exploit. Le transport de marchandises et la circulation des habitants dépendaient entièrement d’un système de bacs, parfois risqué selon les caprices du fleuve. L’absence de pont constituait une barrière entre rives, ralentissant échanges et développement. Selon les archives départementales de la Dordogne, le projet d’un pont fixe à Castelnaud a vu le jour dès la fin de la décennie 1880 mais les travaux n’ont véritablement débuté qu’en 1892 (Archives départementales de la Dordogne).

  • Construction : 1892-1894, une période d’ingénierie locale et d’émulation villageoise.
  • Architecture : Pont routier en pierre et moellons, 5 arches en plein cintre, 128 mètres de longueur.
  • Mise en service : Octobre 1894, une date qui marque l’entrée de Castelnaud dans une nouvelle ère.

L’inauguration du pont acte une transformation majeure : Castelnaud-La-Chapelle n’est plus isolé, ses marchés et artisans gagnent en accessibilité, et la vie quotidienne bascule vers une modernité presque discrète.

Une architecture emblématique et discrète

Bâti en pierre calcaire locale, le vieux pont s’intègre harmonieusement dans le paysage vallonné du Périgord noir. Ses lignes sobres et ses arches arrondies témoignent d’un savoir-faire hérité des maîtres-maçons périgourdins, qui ont su conjuguer robustesse, esthétique et adaptation au courant parfois tumultueux de la Dordogne.

  • Matériau : Pierre de la région, sélectionnée pour sa résistance aux crues et aux assauts du temps.
  • Technicité : Les fondations intègrent des pieux de chêne, battus dans le lit de la rivière pour garantir la stabilité. Selon plusieurs témoignages recueillis dans la presse régionale, la construction a nécessité plus de 15 000 blocs de pierre, taillés sur site.

Son gabarit modeste contraste avec la monumentalité des grands ponts urbains du XIXe siècle, mais il reflète une volonté de respecter l’environnement et l’échelle humaine du village. Le pont est fréquemment cité dans les guides patrimoniaux (notamment le Comité Départemental du Tourisme Dordogne-Périgord) comme modèle d’intégration paysagère.

Un lien vital pour la vie quotidienne et l’économie locale

La traversée du pont, pour les habitants comme pour les voyageurs, reste une expérience structurante. Voici quelques-uns des rôles majeurs qu’il joue encore aujourd’hui :

  • Mobilité : Reliant la D57 et la D703, il facilite l’accès aux bourgs voisins (Beynac, La Roque-Gageac, Saint-Cybranet), aux services publics et aux commerces, en particulier lors des marchés hebdomadaires.
  • Vie agricole : Les exploitations de noix, de tabac et de maïs des alentours utilisent chaque jour ce passage pour rejoindre les circuits de distribution, notamment Sarlat ou le marché de Domme.
  • Tourisme : Point de référence pour les amateurs de canoë, spot pour les photographes cherchant à saisir la courbe de la Dordogne, seuil d’entrée pour les visiteurs du château.
  • Solidarité rurale : Pendant les crues et épisodes météorologiques extrêmes, sa solidité est un atout lors des opérations d’entraide.

En 2023, ce sont plus de 250 000 passages de véhicules et un flux piétonnier en croissance constante, selon les chiffres communiqués par la mairie de Castelnaud-La-Chapelle. Le pont devient aussi un point de rendez-vous informel : c’est là que se forgent les discussions matinales, avant l’ouverture de la boulangerie ou le départ du marché.

Lieux de mémoire et petites histoires du vieux pont

Le vieux pont n’est pas seulement un axe de passage : il est aussi un décor pour les grandes et petites histoires de Castelnaud. Plusieurs anecdotes, parfois relayées par la presse régionale ou dans la Revue du Périgord, témoignent de son rôle dans la vie locale.

  • Pendant la Seconde Guerre mondiale : le pont a servi de point de rencontre aux réseaux de résistants du secteur, et certains habitants se souviennent de messagers passant en vélo sous le regard vigilant des gardes allemands.
  • Fêtes fluviales : chaque été, le pont est illuminé pour les « balades des gabares » et les feux d’artifice de la Saint-Jean, rassemblant riverains et curieux sur ses parapets.
  • Rencontres inattendues : des mariages, des arrivées de procession, mais aussi des troupeaux de vaches traversant sous la houlette paisible des éleveurs, le pont ayant servi – jusqu’aux années 1970 – d’axe de transhumance locale.

Au fil du temps, le pont est aussi devenu un motif photographique prisé : nombre de cartes postales anciennes de Castelnaud le montrent avec le château pour toile de fond, immortalisant l’atmosphère si particulière de ce bout de Périgord.

Préservation, restaurations et adaptation aux enjeux d’aujourd’hui

Comme tout ouvrage ancien, le pont a connu les séquelles du temps : crues dévastatrices, usure des matériaux, pression automobile croissante… Il a régulièrement fait l’objet de restaurations décidées par la commune et le département, financées en partie grâce à des fonds patrimoniaux et européens.

  • Restauration majeure : En 1986, la consolidation des arches et la réfection des parapets ont permis de garantir la sécurité des passages lourds, sans altérer le cachet historique.
  • Entretiens courants : Nettoyage, rejointoiement, surveillance des fondations. La mairie, en lien avec la DRAC Nouvelle-Aquitaine, assure une veille continue (source : Préfecture de la Dordogne).
  • Adaptation douce : Depuis 2018, une voie piétonne a été renforcée, tout en conservant la circulation automobile, pour favoriser les mobilités douces et répondre à la hausse de la fréquentation touristique.

Le pont reste classé à l’Inventaire général du patrimoine culturel de la Nouvelle-Aquitaine, ce qui souligne son intérêt tant historique que patrimonial.

Et demain ? Un pont plus vivant que jamais

À l’heure où Castelnaud-La-Chapelle s’engage dans une réflexion sur la valorisation de son centre-bourg et la mobilité durable, le vieux pont conserve toute son utilité et sa charge symbolique. Les projets de circuits piétonniers, de balades patrimoniales et d’éclairage doux s’appuient sur la présence de ce trait d’union : il permet d’envisager de nouveaux usages – et de nouvelles histoires à partager.

Témoin des jours paisibles comme des heures de tumulte, le pont reste le fil conducteur d’un village qui ne cesse de tisser du lien entre passé et avenir. Qu’on le franchisse en voiture, à pied sous les brumes du matin, ou qu’on admire son reflet à la tombée du jour, impossible d’imaginer Castelnaud sans le vieux pont – ce discret symbole, solide et vivant, du cœur du Périgord Noir.

  • Bibliographie : Archives départementales de Dordogne, Sud-Ouest, Comité Départemental du Tourisme Dordogne-Périgord, Inventaire général du patrimoine culturel Nouvelle-Aquitaine, Revue du Périgord.

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