Les secrets bien gardés des cloches de l’église Saint-Michel-Archange à Castelnaud-La-Chapelle

24 août 2025

La voix du village : quand les cloches rythmaient les journées castelnaudaises

Premier repère sonore et symbole fort du petit bourg, les cloches de l’église Saint-Michel-Archange font partie de l’intimité du village de Castelnaud-La-Chapelle. Pourtant, derrière leurs sons familiers, c’est toute une histoire de transmissions, de mutations et parfois de disparitions qui se cache. Si aujourd’hui le carillon accompagne encore mariages et funérailles, c’est un patrimoine technique, social et spirituel bien plus vaste qui se dessine à travers le récit de ces objets de bronze.

Quelles cloches ont résonné au fil des siècles dans la vallée ? Qui les a fondues, installées ou peut-être subtilisées, et pourquoi certaines ont disparu ? Entre documents d’archives, enquêtes auprès des habitants et recherches historiques menées localement, quelques clés sont à portée de main pour éclairer ces mystères campés sous la Tour du clocher.

Retour aux origines : une histoire mouvementée sous le regard des siècles

L’église Saint-Michel-Archange, telle qu’on la connaît aujourd’hui, remonte pour sa partie la plus ancienne au XII siècle, mais a connu plusieurs remaniements (source : Base Mérimée). Or, les cloches n’ont jamais cessé de marquer le destin du site :

  • Moyen Âge : On estime que la première installation de cloches date de la fondation de l’église, vers la fin du Moyen Âge, alors que posséder une cloche était signe de dynamisme paroissial. Leur bronze, fondu localement ou venu des riches ateliers limousins, était parfois complété par des fragments d’ancienne artillerie récupérée – à ce titre, la Dordogne regorge d’exemples de métamorphose de métal à la suite des campagnes de la guerre de Cent Ans (source : Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord, 1987).
  • XVIII siècle : Les plus anciennes cloches documentées retrouvaient de nouvelles affectations, parfois refondues lors de troubles comme la Révolution : entre 1792 et 1794, la quasi-totalité des cloches du Périgord furent saisies, fondues pour la fabrication de canons (source : Archives départementales de la Dordogne, cote 6 L 76).
  • Fin XIX et XX siècle : Plusieurs vagues de rénovation ont apporté de nouvelles cloches, parfois offertes par de généreux propriétaires locaux, les anciennes étant refondues ou chassées des inventaires sans laisser de traces précises.

Ainsi, la disparition des vieilles cloches prend racine dans les nécessités politiques, les conflits et les traditionnelles refontes qui charpentent les siècles.

Objets d’art et de technique : comment étaient fabriquées et nommées les cloches de Castelnaud ?

Les cloches ont longtemps été considérées comme de véritables œuvres d’art sacré. Leur fondeur laissait généralement son nom, accompagné de la date d’exécution, sur l’une des anses ou sur la panse par de modestes inscriptions en latin ou en français. Parmi les techniques originelles :

  • Le bronze campanaire, alliage composé d’environ 78% de cuivre et 22% d’étain : recette classique depuis le Moyen Âge (source : Mears & Stainbank Bellfounders).
  • Légendes locales veulent que les fondeurs viennent parfois sur place, installant leur four au pied même du clocher, pour éviter la casse du transport. Plusieurs villages du Périgord conservent la mémoire de telles coulées, proches de l’église et entourées d’une mini-fête populaire (source : témoignage oral, famille Arnaud, 2023).
  • Chaque cloche était baptisée : une cérémonie religieuse, en présence du parrain et de la marraine, destinés à protéger la cloche tout au long de son existence.

On dénombrait parfois deux à trois cloches dans les petits villages de Dordogne, souvent différenciées par leur fonction :

  1. La « grand’messe » pour les grandes occasions.
  2. L’angélus, plus petite ou ton plus doux, carillonnant matin, midi et soir.
  3. Le tocsin, cloche d’alerte, souvent redoutée : elle résonnait lors des incendies, crues, ou pour appeler à l’aide (source : Le Tocsin en Périgord, Études d’ethnomusicologie, 2018).

Des disparitions qui intriguent : traces et hypothèses sur les anciennes cloches

Parmi les grandes questions qui reviennent : où sont passées les cloches d’origine ? L’église de Castelnaud-La-Chapelle recense aujourd’hui deux cloches dans son clocher – mais d’autres ont résonné jadis au-dessus du village. Les inventaires d’avant 1793 signalent trois cloches, alors qu’on n’en retrouve que deux à la fin du XIX siècle (source : Archives paroissiales, registre de la fabrique, 1885).

Les hypothèses principales :

  • Réquisition lors de la Révolution française : Castelnaud-La-Chapelle a vu ses cloches descendues et convoyées à Sarlat pour être pesées et réaffectées à l’effort de guerre. On estime que plus de 83% du stock campanaire du Périgord a ainsi disparu ou été refondu entre 1793 et 1800, selon les travaux du Centre de Documentation du Patrimoine (2020).
  • Revente ou refonte : les crises économiques du XIX siècle forcent souvent les paroisses à vendre ou refondre leurs cloches abîmées. On trouve dans la presse locale du début du XX siècle (Le Courrier du Périgord, 1904) mention de « cloches refondues » à Castelnaud pour financer le réaménagement du clocher.
  • Petites légendes villageoises : il a couru une rumeur, amplifiée lors de la Seconde Guerre mondiale, qu’une cloche aurait été cachée dans une grange pour échapper à une nouvelle réquisition pour la fonte – mais aucune fouille récente ni témoignage concret ne l’atteste.

Aujourd’hui, aucune cloche visible n’est antérieure à 1850. Les cloches actuelles portent notamment la date de 1874 pour la plus grosse, fondue à Bordeaux, et de 1911 pour la plus petite, issue de la fonderie Farnèse, alors en activité à Bergerac (Inventaire sonore des cloches du Périgord Noir).

Rituels et légendes : les cloches au cœur de la vie communautaire

Bien au-delà de la pratique religieuse, les cloches ont toujours structuré le rythme social du village. Chaque sonnerie portait une signification :

  • L’appel à la messe, repère quotidien en des temps sans montre ni radio ;
  • L’angélus, marquant le travail dans les champs – on arrêtait la houe pour une prière ;
  • Le glas, porteur de la douleur collective lors d’un décès.

L’interdiction de sonner les cloches pendant l’Occupation allemande, dès 1942, a laissé un souvenir très fort dans la population âgée de Castelnaud : « Quand les cloches ont cessé, c’était comme si le village n’avait plus d’âme… », confie une ancienne habitante (témoignage recueilli lors des Journées du Patrimoine 2023).

Certains jours d’été, il arrive qu’un visiteur monte par la Tour du clocher, guidé parfois par les bénévoles du patrimoine local, pour découvrir l’histoire de ces carillons. On y découvre aussi les habitudes ancestrales : lors de sécheresses, on sonnait la cloche pour implorer la pluie, coutume attestée dans le livre « Les Rites paysans du Périgord » de J.-B. Lemoine (p. 211).

Le mystère entoure-t-il encore les cloches disparues ?

Aujourd’hui, l’histoire des anciennes cloches de Castelnaud-La-Chapelle intrigue toujours. Leur passé reste à moitié dans l’ombre : s’il est établi que plusieurs cloches furent définitivement perdues lors de la Révolution, d’autres ont quitté le village sans laisser de véritables traces dans les archives. La tradition orale évoque bien quelques volontés locales pour sauver ces « voix » du village, mais sans preuve tangible. Les inventaires modernes se poursuivent, notamment grâce au travail mené par l’association locale du patrimoine et l’INRAP lors de récents relevés de l’église.

Ce mystère agit comme un stimulant pour la curiosité locale. Chaque année, de nouvelles générations s’interrogent sur les traces à déchiffrer, tandis que les sonneries actuelles continuent, inlassablement, d’écrire leur propre légende à Castelnaud-La-Chapelle.

Pour aller plus loin : ressources et pistes de recherche

  • Archives départementales de la Dordogne : Inventaires campanaires et registres paroissiaux (séries 2E et 6L)
  • Inventaire sonore des cloches du Périgord Noir : données en ligne, analyses acoustiques et historiques (sonometre-perigord.fr).
  • Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord : articles sur les objets d’art sacré, numéros thématiques sur les églises rurales.
  • Journées du Patrimoine : possibilité de visites guidées du clocher, informations auprès de la mairie de Castelnaud-La-Chapelle.

Enfin, n’hésitez pas à prêter attention à la prochaine volée de cloches lors de votre passage au village : elle est l’écho fidèle des siècles révolus, et qui sait, peut-être porte-t-elle encore un secret à découvrir…

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