La Chapelle : au cœur des mystères et du patrimoine de Castelnaud

13 juin 2025

Un hameau discret, une histoire éclatante

Le hameau de La Chapelle, blotti à quelques encablures du bourg de Castelnaud-La-Chapelle, ne paie pas de mine au premier abord. Quelques maisons de pierre blonde, une placette ombragée, des toits de lauze, la silhouette d’une petite église que longe un sentier descendant vers la Dordogne… On pourrait croire ce lieu figé hors du temps. Pourtant, chaque pierre ici raconte une histoire qui se mêle à la grande Histoire du Périgord Noir.

Évoquer La Chapelle, c’est ouvrir un livre vieux de plusieurs siècles, où l’on croise seigneurs, paysans, résistants et pèlerins. D’où vient ce nom ? Pourquoi ce hameau - bien que modeste - occupe-t-il une place aussi singulière dans la mémoire locale ? Plutôt que d’offrir une chronologie sèche, partons sur ses traces, à travers anecdotes, archives et regards d’habitants.

La Chapelle, berceau et témoin de l’essor médiéval

La première mention connue de La Chapelle remonte au XIII siècle, sous le nom de « Capella de Castelnau », dans les registres de l’évêché de Sarlat (Cartulaire de Sarlat). À cette époque, le château voisin faisait partie d’un réseau défensif protégeant la vallée de la Dordogne, convoitée pour son axe commercial et stratégique. Le hameau, séparé du bourg fortifié, s’est développé autour de son église, simple chapelle rurale dédiée à Saint Martin : c’est d’elle que le lieu tire son nom.

Entre le XIII et le XVe siècle, La Chapelle devient un refuge autant qu’un point de ralliement pour les communautés rurales disséminées autour du château. On sait, d’après des archives notariées conservées aux Archives départementales de la Dordogne, que plusieurs familles de vignerons possédaient de petites terrasses sur les coteaux environnants dès 1392. La rivière en contrebas, bordée de moulins, favorise l’essor d’une économie vivrière et artisanale.

  • L’église Saint-Martin, dont le clocher-mur est classé Monument historique, aurait été remaniée suite aux incursions anglaises pendant la Guerre de Cent Ans (source : Base Mérimée).
  • Le chemin jouxtant le cimetière reste, selon les historiens locaux, une portion d’ancienne voie de transhumance reliant les bergers du causse aux prairies de la vallée.

Église, clochers et traditions oubliées

Difficile d’imaginer aujourd’hui l’effervescence qui animait La Chapelle aux grandes occasions : baptêmes, mariages, veillées. L’église romane, modeste mais remarquablement préservée, sert d’écrin à toute une sociabilité villageoise. Dans l’édition 1889 de la Statistique Monumentale de la Dordogne, on apprend que La Chapelle organisait autrefois une procession de la Saint Martin, où les habitants des hameaux voisins se retrouvaient pour partager pain bénit et récits populaires.

Anecdote méconnue : lors de la Révolution française, le curé du lieu résista longtemps à la constitution civile du clergé et fut même emprisonné de longs mois à Sarlat avant d’être réhabilité par les habitants, attachés à leur chapelle (source : Paroisses et Curés en Dordogne sous la Révolution, Pierre Boyer, 1954).

  • Le clocher-mur, typique du Sud-Ouest, garde les stigmates de réfections successives, preuve de la résilience d’une communauté fidèle à ses traditions malgré les tempêtes de l’histoire.
  • Un « sonneur » attitré, jusqu’aux années 1960, rythmait la vie du hameau — il sonnait pour les angélus, les alertes, les morts.

Des guerres et des résistances : La Chapelle face à l’adversité

Le XX siècle a laissé une empreinte profonde sur le hameau, loin de la tranquillité bucolique actuelle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la proximité de la Dordogne – frontière entre zone occupée et zone libre jusqu’en 1942 – confère à La Chapelle un statut particulier : on traverse la rivière ici de nuit, dans le plus grand secret, pour passer des messages, évacuer des personnes menacées, ou cacher des provisions aux maquis. Un petit réseau de résistance, animé par des instituteurs de Castelnaud, utilisait le presbytère comme relais temporaire (témoignages recueillis par Périgord Résistant, revue des Amis du Vieux Sarlat, 1998).

  • Une maison du hameau, reconnaissable à ses tuiles romaines mélangées aux lauzes, a abrité un atelier de faussaires de papiers officiels durant l’hiver 1943.
  • Plusieurs familles se sont vues décerner la médaille des Justes parmi les nations pour avoir caché des enfants juifs dans leurs fermes environnantes (d’après la base Yad Vashem).

Un pan de l’histoire locale qui fait la fierté de plusieurs descendants, encore installés à La Chapelle. La tradition orale rapporte que tous les dimanches de 1943, la messe se terminait par un mot codé destiné aux résistants du secteur.

: quand le bâti raconte le quotidien

Le charme de La Chapelle tient autant à ses histoires qu’à ses pierres. Observer le bâti local, c’est lire dans les couches successives du temps : ancres forgées sur les linteaux, escaliers rudimentaires en bois, pigeonniers nichés sous les toitures, vieux fours à pain sous appentis. En 1982, un recensement de la Société d’Archéologie du Périgord dénombrait dans le hameau :

  • 6 maisons antérieures à 1830, quasiment inchangées ;
  • 2 puits à margelle couverts de lauzes, toujours en service lors des sécheresses estivales ;
  • 3 abris troglodytiques en bordure de falaise, anciens refuges lors des crues ou des conflits.

Certaines maçonneries portent encore les traces noircies d’anciens fours à chaux, abandonnés avec l’introduction du ciment Portland à la fin du XIX siècle. Le hameau est également ceinturé d’une quinzaine de murets en pierres sèches, alignant parfois plus de 120 mètres, typiques du Périgord, érigés pour délimiter les anciennes parcelles de noyers et de tabac.

Chaque printemps, un chantier participatif local travaille à leur restauration, témoin d’une dynamique portée par l’association « Castelnaud Patrimoine », chargée de sensibiliser habitants et visiteurs à la sauvegarde de cet héritage (source : castelnaudpatrimoine.fr).

La Chapelle aujourd’hui : vivre avec l’histoire, transmettre sans figer

Loin d’un lieu-musée, La Chapelle fait partie intégrante de la vie castelnaudienne contemporaine. Plusieurs familles y vivent à l’année, perpétuant des métiers liés à la terre (noyeraies, apiculture, maraîchage). Un tiers seulement des habitations servent aujourd’hui de résidences principales, contre 80% en 1901 (recensements INSEE), signe des mutations du monde rural.

  • Depuis 2017, l’ancienne école accueille en été des ateliers de peinture et d’écriture, ouverts aux curieux et passionnés d’histoire locale.
  • La fête annuelle de la Saint-Martin rassemble habitants et visiteurs autour d’une table conviviale, sur fond de contes en occitan et de dégustations de produits du terroir.
  • Des visites guidées, ponctuelles et intimistes, sont organisées à la demande, en partenariat avec Pays de la Dordogne.

À ceux qui cherchent un Périgord authentique, La Chapelle réserve mille petites surprises : une cabane de vigneron restaurée, un figuier du XVIII siècle dont la légende dit qu’il aurait caché des « cabécous » fuyards, ou la trace d’une croix disparue gravée sur une roche… Ici, l’histoire continue de s’écrire, paisible, portée par des gestes simples et un profond attachement à la terre.

Vers un avenir partagé : entre mémoire et ouverture

Si La Chapelle rayonne encore aujourd’hui dans le cœur de Castelnaud, c’est parce qu’elle se nourrit d’une mémoire vivante, partagée et actualisée. Loin de se réduire à une simple halte sur les sentiers de randonnée, le hameau incarne un art de vivre où chaque génération apporte sa pierre à l’édifice du patrimoine local.

La dynamique associative, la transmission d’anecdotes dans les écoles du village, la curiosité des visiteurs ou des nouveaux habitants participent à la vitalité du lieu. Face aux défis du tourisme croissant et de la ruralité fragile, La Chapelle demeure ce quartier où les portes s’ouvrent encore volontiers pour conter une histoire, offrir une noix fraîche ou montrer, simplement, la beauté du quotidien dans l’un des plus vieux écrins du Périgord Noir.

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